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HISTORIQUE
Origines
A l'origine, le cor des Alpes (Alphorn en allemand) était
un instrument d'appel et d'alarme, comme
en connaissent plusieurs civilisations. Il servait, dit-on, à
faire passer
des
messages sonores sur des grandes distances (plusieurs kilomètres
en fonction du positionnement et des conditions climatiques )
dans les vallées et les alpages suisses. Encore qu'aucun
de ces "messages" n'ait été conservé,
pas plus qu'aucun code qui aurait servi à la confection
de tels messages. Néanmoins, dans toutes les régions
alpines, hormis le Tessin, des bergers jouaient jadis du cor des
Alpes, l'été pour s'appeler entre eux, l'hiver pour
quêter dans les rues des villes et des villages, ou tout
simplement pour exprimer la joie de vivre comme le fait tout musicien.
Lors de fouilles archéologiques effectuées de 1976
à 1979 dans les ruines du château de Friedberg près
de Meilen, on a trouvé un cor courbe en bois, de 60 cm
de long environ, de la première moitié du XIVe s.
Un cor des Alpes est mentionné pour la première
fois en 1527, dans les comptes de l'abbaye de Saint-Urbain, et
sa première illustration connue figure sur un vitrail de
1595 provenant d'Adelboden.
Au XVIIIe s., l'instrument tomba dans l'oubli.
La Renaissance du Cor des Alpes
Après
les troubles politiques de 1798, la ville de Berne se rapprocha
de sa campagne en invitant à la fête du 17 août
1805 trois mille citadins et campagnards ainsi que des hôtes
de toute l'Europe dans la prairie d'Unspunnen, à Interlaken.
C'est par cette fête, en effet, que les Bernois reprirent,
d'une part, conscience de la nécessité de
s'unir,
de l'autre, qu'ils reprirent goût aux jeux des bergers:
lutter, lever des pierres, faire de la musique. Et c'est par cette
fête que le cor des Alpes commença à retrouver
la place qu'il avait perdue dans le coeur des Suisses.
"Zur
Ehre des Alphorns" ( A la gloire du cor des Alpes)
fut la devise inscrite sur la médaille commémorative.
La fête elle-même fut brillante mais, ce que l'eau-forte
du miniaturiste F.N. König et la chronique attestent, deux
joueurs seulement se produisirent au concours de cor des Alpes
et remportèrent sans concurrence les deux prix : deux médailles
et deux moutons noirs.
Il
faut noter qu'à cette époque, le Romantisme eut
un effet considérable sur l'appréciation des cultures
autochtones: alors que les frères Grimm travaillaient sur
les contes et légendes populaires, les premiers "collecteurs"
de musiques traditionnelles se mirent au travail à travers
l'Europe dans l'effort de conserver et de faire revivre les traditions
locales de chaque région et de chaque pays. C'est dans
cet esprit que les fêtes suisses furent célébrées,
et pourquoi elles résonnèrent si bien chez les populations
urbaines qui voulaient se ressourcer dans leurs traditions ancestrales.
En 1808 la fête des bergers fut renouvelée. Quant
à la devise, l'on fit bien de remplacer le mot "Alphorn"
par patrie "Zur Ehre der Heimat" ("A
l'Honneur de la Patrie") parce qu'il n'y eut qu'un seul
joueur de cor des Alpes à obtenir quelque succès.
L'artiste-peintre
König nota dans son journal, en 1814, à l'occasion
d'une promenade au canton de Berne: "Vom Alphorn sieht
und höret man fast nichts mehr..." ("De
cor des Alpes on ne voit ni n'entend plus rien..." )
En effet, il fut nécessaire que le maire de Berne priât
un jeune professeur de musique qui jouait du cor des Alpes comme
Ingres de son violon d'enseigner le jeu de cet instrument. On
construisit donc rapidement des instruments, on composa des morceaux
et on organisa des cours qui eurent lieu à Grindelwald
dès 1826; l'artiste-peintre G. Vollmar en fit d'ailleurs
un tableau. L'idée de sauver la tradition du cor des Alpes
par l'enseignement donna naissance à l'instruction populaire
qui ne se fait pas aux académies mais aujourd'hui encore
le dimanche après-midi dans les prés et les forêts.
Lors de la fondation de l'Etat moderne, en 1848, la musique populaire
helvétique n'avait donc même pas cinquante ans. Très
tôt, les sociétés de musique se vouèrent
à la conservation des mélodies, elles fixèrent
dans les statuts et règlements comment il fallait les jouer
et se battirent obstinément pour interdire toute innovation.
Le cor des Alpes devint un symbole indissociable aujourd'hui de
la représentation folklorique des alpages suisses.
Le
Cor aujourd'hui
La
confrérie des joueurs de cor des Alpes compte actuellement
environ 1500 membres, citadins et campagnards, qui s'exercent
d'après des mélodies notées. L'Association
fédérale des yodleurs, fondée en 1910, elle
aussi organisa des cours qui contribuèrent à la
diffusion de l'instrument, que des amateurs pratiquent aujourd'hui
dans toute la Suisse et à travers le monde. Une normalisation
de l'accord permet de jouer à deux, trois, quatre et plus.
FACTURE
Le cor des Alpes est une longue trompe conique
en bois, sans trous, ni clefs, ni pistons, se terminant par un
pavillon incurvé. Une embouchure facilite la transmission
des vibrations des lèvres. Cet instrument ne produit que
des harmoniques naturels, à savoir 13 à 22
notes sur 3 à 4 octaves, selon l'habileté du souffleur.
Les
premières représentations graphiques nous montrent
un instrument petit et joué à bout de bras.
Jusque vers 1900, le cor des Alpes était fabriqué
exclusivement avec un jeune sapin rouge (épicéa)
au pied courbe, écorcés, sciés en deux dans
le sens de la longueur. Les moitiés évidées
à la doloire et à la gouge sont collées ensemble,
bandées avec de l'osier, des anneaux de bois et de fer,
et munies d'une embouchure.
Aujourd'hui,
de nombreux facteurs de cors préfèrent le façonnage
d'une pièce de bois de choix, adaptable au tube rectiligne.
Une épaisseur régulière de quatre à
sept millimètres confère à l'instrument une
sonorité équilibrée. Les deux moitiés
évidées sont rectifiées au rabot, polies,
puis réunies. Le facteur de cor des Alpes consacre plus
de 50 heures au seul évidage de l'intérieur et
jusqu'à 100 heures à la réalisation artisanale
de l'instrument, coupe de bois non
comprise.
Le cor des Alpes en fa dièse/ sol bémol actuellement
le plus courant, mesure environ 340 cm et se scinde en deux ou
trois parties, assemblées par emboutissage ou filetage
de laiton. Pour les protéger des intempéries et
leur assurer une longévité prolongée, le
cor des Alpes est depuis toujours cerclé. Aujourd'hui le
cor des Alpes est plus fréquemment gainé de rotin.
On utilise aussi , mais plus rarement, l'écorce de bouleau
prélevée sur le côté ensoleillé
de l'arbre, quand la sève monte à la veille de l'été.
Le pavillon du cor des Alpes, par contre, est fréquemment
décoré d'une sculpture, pyrogravure, peinture rustique,
marqueterie ou décalcomanie. Sujets privilégiés:
croix fédérale, fleurs des Alpes, chalets d'alpage
ou chaîne de montagnes. Les cors des Alpes actuels sont
pourvus d'une embouchure tournée dans le buis et fort souvent
sculptée.
Les tonalités les plus utilisées sont le Fa et Fa
dièse.
L'évolution
des techniques a favorisé l'émergence de nouvelles
formes de cor des Alpes. Roger Zanetti a transformé cet
instrument en un objet de haute technologie en mettant au point
un cor des Alpes en fibre de carbone. Primé au salon des
inventions de Genève en 1999, ce cor high tech offre plusieurs
avantages : le carbone vibre de la même façon que
le bois et l'assujettissement des différents tubes télescopiques
se fait par adhérence, sans aucune bague. Il est léger
et peu encombrant. Il offre surtout la possibilité au musicien
de pouvoir jouer une multitude de tonalités. Le reste est
une affaire de goût et de choix personnels.
Les
musiciens de l'ensemble Hornroh ont développés de
nouvelles formes de cor des Alpes qu'ils nomment Alpophone et
autres Alperidoo.
REPERTOIRE
Utilisé
aussi pour appeler le bétail, ou pour l' apaiser pendant
la traite, cette fonction initiale a aujourd'hui disparu, et l'instrument
est joué par des amateurs pour leur divertissement.
Le
répertoire est constitué de pièces d'ensembles
( Duos, Trios, Quatuor ). Dans le domaine de la musique symphonique
on le trouve pour la première fois dans la
"Sinfonia
Pastorella" de Leopold Mozart (1755). Des références
au " Ranz des Vaches"
se trouvent dans certaines compositions de Haydn, Beethoven, Berlioz.
En 1868, Johannes
Brahms transcrit une mélodie pour cor des Alpes
entendue sur le Rigi et l'incorpore plus tard dans le dernier
mouvement de sa première symphonie.
De nombreuses compositions pour cor des Alpes et ensembles instrumentaux
se sont développées au cours du XXè siècle,
grâce aux travaux de nombreux compositeurs : Dieter Angerer,
Dennis Armitage, Paolo Baratto, Jean Daetwyler, Franz kanefzky,
Jost Meier, John Glenesk Mortimer, Carl Ruetti, Anton Wickys.
Des solistes de renommée incontestable comme Jozsef Molnar,
Hans-Jürg Sommer et William Hopson ont permi à cet
instrument malcommode de sortir de son enferment folklorique.
Des
musiciens de jazz comme Hans Kennel, l'ensemble Mytha, l'ensemble
Hornroh, le duo Stimmhorn, et bien d'autres expériences
encore, démontrent que le répertoire pour cor des
Alpes est en pleine évolution, grâce à l'utilisation
de nouveaux modes de jeu.